Je n’en reviens pas, je suis bel et bien là, derrière l’ordinateur, en train de vous écrire cette seconde carte postale. Et même plutôt heureuxse de le faire ! Je suis là malgré la grande panique qui s’est emparée de moi juste après avoir publié sa première édition la semaine dernière. Persuadé e que je venais encore une fois de m’embarquer publiquement dans quelque chose de bien trop copieux pour mes véritables capacités, j’avoue avoir, pendant quelques minutes, remis l’initiative en question. Après tout, il m’aurait suffit de supprimer la publication et presque personne n’aurait rien vu. Pas vu par beaucoup, pas prise, ou quelque chose comme ça.
Et pourtant, je suis là.
J’imagine bien que pour certain·es, l’idée d’écrire une bafouille chaque semaine pendant une période déterminée ne représente pas une épreuve d’une très grande intensité. Tout au plus, c’est une tâche supplémentaire sur une todolist déjà longue comme le bras, mais ça ne réveille pas forcément une armée de démons tapis sous les touches du clavier.
Je n’ai jamais été très doué e en régularité ou tout ce qui demande une forme d’auto-discipline. Je n’ai pas d’autres souvenirs de moi, que ce soit à l’école, au travail ou dans mes loisirs, besognant autrement que par impulsions, mené e par mes émotions volcaniques et mon inspiration claudiquante, dans une sorte d’empressement effervescent et comptant sur une accumulation d’adrénaline engoncée pour franchir n’importe quelle ligne d’arrivée. L’échéance imminente s’avérant être le seul véritable moteur à ma motivation, parfois même pas, et bien souvent à mes dépends. Le résultat jamais complètement à la hauteur de mes espérances, et l’épuisement latent.
J’ai beaucoup d’opinions sur les origines de ces méthodes de travail dont je pensais être à la merci. Elles prennent vie dans un savant mélange d’héritages génétiques, de négligence systémique et d’oppression capitaliste, lesquels ont révélé leur relation subtile lorsque sont apparus ma fatigue et symptômes chroniques il y a quelques années. Comme si la douleur avait pris ses quartiers sur ce terrain instable le temps de prendre certains de mes maux par la racine et de passer en revue ce que je pensais n’être qu’une somme de mauvais sorts. Que j’identifie également les endroits où je refusais d’engager ma responsabilité personnelle.
En m’embarquant dans ce projet de cartes postales hebdomadaires, je savais qu’il me faudrait convoquer des forces qui ne me sont pas innées et des manières de faire qui ne m’ont pas été enseignées. Je savais qu’il me faudrait disséquer de vieilles croyances martelées plus ou moins consciemment, et adossée à elle, mon estime de moi en berne. L’effort régulier et modéré me prendrait plus d’énergie que le travail forcené sur une courte durée. M’engager dans une quelconque forme de discipline me préparerait irrémédiablement à l’échec. Le sentiment d’urgence permettrait d’excaver l’essence, la raison d’être ultime d’une idée.
En m’embarquant dans ce projet, voilà ce que je venais chercher : une conjuration sous la forme d’une confrontation poétique.
La première étape de cette conjuration ? De nouveaux repères, des nouvelles stratégies qui sabotent mes anxiétés héritées et les rites développés pour tenter tant bien que mal de pallier à celles-ci. De nouveaux garde-fous : à déplacer, à altérer, à apprivoiser. Les voici, sous la forme d’instructions pour rendre l’écriture hebdomadaire moins effrayante, pour me sentir épaulée par ma propre pratique, pour me donner envie de revenir toutes les semaines jusqu’à la fin de l’été.
prévoir un moment défini, chaque semaine, pour travailler sur la carte postale en cours, l’inscrire au calendrier, au lieu de compter sur l’espace mental qui se dégagerait de lui-même sans aucune facilitation ;
préparer une liste de sujets dans laquelle piocher si l’inspiration vient à manquer plutôt que d’attendre, béat e, devant l’écran ;
savoir ce sur quoi écrire à l’avance ;
tirer une carte de tarot ou d’Oracle, voir ce qu’elle convoque, en quoi elle altère ce qui allait être écrit ;
dédier des publications liées aux événements, échéances et rituels déjà en place et qui s’égraineront au fil des semaines ;
prendre note, tout au long de la semaine, de ce qui a été fait, doit être fait, ne sera pas fait ;
prévoir une récompense à l’issue de chaque session d’écriture ;
se permettre d’écrire deux trois fois sur la même chose, mais différemment ;
piocher des idées dans le journal de la semaine ;
créer un compteur à cartes postales envoyées ;
se faire à l’idée que toutes les cartes postales ne seront pas mémorables, et que ça n’est pas grave, que c’est bien là que se joue tout le jeu.
Je n’en reviens pas, je vous ai écrit. Et dire que le plus difficile dans cet acte, en fin de compte, c’était de m’asseoir à mon bureau.
À la semaine prochaine !
Dites-moi si vous avez, vous aussi, mis des ruses en place pour ne plus vous saboter. Lesquelles ? Fonctionnent-elles ?
J'aime beaucoup ta liste, elle m'est inspirante, merci !
Je me permets de la prendre en photo pour la garder 🧡