Il y a quelques semaines, j’ai commencé à travailler sur un tout petit format de fanzine. Une feuille A4 pliée en 8, imprimée à l’encre noire, d’abord sur du papier blanc, et puis, quand les textes ont commencé à trouver leur place définitive sur le document, sur du papier de différentes couleurs. C’était une première réponse concrète à mes envies d’autres formes, à ce besoin de trouver des réponses hors du numérique, à élargir mon monde et la manière dont je lui fais savoir que j’existe. J’y ai regroupé cinq poèmes et textes qui dépeignent ma relation à l’écriture. Ils disent pourquoi j’écris, ce que cet acte convoque et libère chez moi. Comme un objet de poésie et de médiation unis par les liens sacrés de l’auto-édition. Je me souviens avoir pensé “quelque chose de simple, de peu onéreux, de facile à produire et dont je goûterai les fruits très vite.”
Deux mois plus tard, profondément embourbée dans une inertie bien connue de mes services, je daigne finalement nommer le moment déterminant où je me trouve, et surtout redouté parce qu’affronté maintes fois plus ou moins vaillamment : la dernière ligne droite.
La vérité est toute claire. Il ne me faudrait pas beaucoup d’énergie ni de temps pour voir ce fanzine imprimé et plié. Peut-être une après-midi, tout au plus, pour régler les derniers soucis d’impression, décider du format et de la couleur des enveloppes qui serviront à emballer l’objet et finalement, me rendre chez l’imprimeureuse.
Pourtant je me complais une nouvelle fois dans cet entre-deux, celui de l’à moitié fait.
À première vue, cette rengaine se répète pour des raisons plus ou moins indépendantes de ma volonté, mes fonctions exécutives1 fluctuantes rendant souvent infernale et saccadée la mise en place matérielle d’une idée. Entre difficulté à anticiper les étapes à franchir et l’épais brouillard qui se manifeste lorsqu’une multitude de choix se lève devant moi, ou encore l’effort mental colossal requis pour contourner un quelconque obstacle, je m’arrête souvent net, et me soumet à l’étrange facilité en mettant l’idée avortée dans un carton. Sans oublier de ficeler celui-ci avec des beaux rubans tissés de déni et d’embarras.
Historiquement, mes parades plus ou moins conscientes pour créer ont été de m’associer à des personnes dont la clarté et la facilité d’exécution étaient indéniables ou de privilégier la simplicité des formats pré-établis tels celui de cette newsletter ou d’un blog. Cette fois-ci, seule et déterminé face à mes tourments, j’ai pris la décision de ne pas commencer à travailler sur une nouvelle idée tant que ce fanzine n’avait pas été imprimé et annoncé à l’Internet tout entier. Tolérance zéro. Espoir au zénith.
La perspective de ne pas pouvoir passer à autre chose aurait dû, en toute logique, me donner l’impulsion nécessaire pour mener à bien ma petite entreprise. C’était sans compter sur la réapparition d’un mécanisme de défense sans pitié. Tout ce qui me semblait si intuitif et légitime au départ, du choix de la typographie au nombre de textes sélectionnés, est soudain remis en question. Est-ce que je ne devrais pas changer le titre ? Est-ce que tout ça n’est pas peu trop petit ? Puisque j’ai déjà le matériel pour une seconde édition, pourquoi ne pas repartir d’une page blanche et repenser toute l’intention de cet objet poétique ? Les murs ont changé mais le sol est bien le même. Me revoilà exactement à l’endroit dont j’essayais de me dépêtrer un peu plus tôt.
Si je souhaite m’enquérir véritablement de ce qui bizute mes élans créatifs, je dois oser faire une analyse intime, et radicalement honnête, de ce que cette stagnation m’apporte. Passer tellement de temps sur ce seuil doit m’arranger au moins un peu. Ne pas terminer un projet, lui trouver subitement à redire, le laisser dans un coin de ma tête jusqu’à ce que quelque chose d’autre prenne sa place n’est pas qu’une simple histoire d’alignement matériel ou d’attrait soi-disant insatiable pour la nouveauté, étiquette que j’ai beaucoup aimé me coller sur le front pour justifier mes sursauts.
Ne pas terminer, c’est choisir la sûreté, factice et temporaire, mais la sûreté tout de même. Ce qui n’existe pas ne peut être jugé, inapprécié et encore moins rejeté. Mon inaction pour rempart à votre désamour.
Ne pas venir à bout, c’est me camoufler, et éviter que l’on découvre mes vraies capacités, ce qu’il m’est réellement possible de faire sans l’aide de quiconque.
Ne pas achever, c’est refuser de me voir tel que, et exactement là où, je suis. C’est rejeter l’idée d’être observée depuis cet endroit-là également. Ce qui ne prend pas vie ne peut me renvoyer mon image.
Ne pas créer, finalement, c’est ne pas oser prendre le plus grand des risques, celui de ne plus être qui j’étais.
Les fonctions exécutives sont un ensemble de processus cognitifs permettant la maîtrise de l'individu par lui-même quand il cherche à atteindre un but ou gérer une situation difficile ou nouvelle. Ces fonctions permettent de faire varier le traitement de l'information et le comportement à chaque instant, en fonction des objectifs du moment, et d'une manière adaptative plutôt que rigide et inflexible. Elles permettent la planification, l'organisation, l'élaboration de stratégies, l'attention et le souvenir des détails importants, ainsi que la gestion du temps et de l'espace.